Disparition de Jean-Pierre Vergier, décorateur, costumier

Ceux qui ont vu les décors de Jean-Pierre Vergier s’en souviennent. Il a marqué la scène théâtrale depuis les années 1970, contribuant considérablement à faire évoluer le métier de décorateur de théâtre. Il a fait partie de cette nouvelle génération qu’on commençait à appeler « scénographe ». Son écriture scénique bousculait les habitudes. Mais c’est sans doute parce qu’il est arrivé au théâtre par hasard, parce qu’il était, avant tout, un peintre et c’est ce qui a séduit Georges Lavaudant. Leur collaboration a commencé en 1973, il cherchait quelqu’un pour faire le décor de son spectacle, La Mémoire de l’iceberg, dans un petit théâtre à Grenoble, Le Rio. Depuis, ils ne se sont plus quittés. Une fidélité de cinquante années, Vergier était de tous les projets, les petits comme les grands. Il y a trois semaines encore des acteurs jouaient dans son décor et ses costumes pour Le Misanthrope que Lavaudant vient de mettre en scène. Une loyauté et une grande confiance les unissaient. Lavaudant avait trouvé avec Vergier une liberté pour créer. Ses décors l’autorisaient, le stimulaient pour oser de magnifiques pas de côtés avec Shakespeare, Pirandello, Brecht ou Tchekhov. Textes classiques ou contemporains, l’imaginaire déployait ses territoires. On se souvient du pont de Brooklyn pour Les Géants de la montagne, de cette façade du Palazzo mentale, du plancher ajouré de Vera Cruz avec la mer en toile peinte au lointain, du sable blanc et de la petite chambre qui descendait des cintres dans Féroé la nuit, du dancing de Terra incognita, des décors improbables du Chapeau de paille d’Italie de Labiche ou du Fil à la patte de Feydeau. Et tellement d’autres… Tout prenait une nouvelle dimension quand les acteurs apparaissaient, dans des costumes fabuleux. Nous étions alors embarqués dans l’aventure. Une véritable alchimie naissait, la magie opérait avec les lumières qui animaient ces univers. Oui, de grands souvenirs de théâtre partagés par des générations de spectateurs. Plus de quatre-vingts décors, des centaines de costumes et d’accessoires, au théâtre, à l’opéra, en France, ici au TNP, à l’étranger. Vergier était un concepteur d’images, avec une sensibilité picturale singulière, un sens du cadre, des proportions et de leurs effets. Il aimait travailler l’art du faux, les patines, les cyclos peints, avec le souci du détail d’un accessoire, des couleurs, des formes. Ses décors étaient habités, ils portaient en eux des traces de vie. Les costumes, aussi simples qu’extravagants, avec élégance toujours, permettaient toutes les folies, l’humour et la poésie. Il aimait la construction des décors, la confection des costumes. Il aimait les matières, le savoir-faire de ces métiers du théâtre, ceux des ateliers et de la coulisse. Il aimait les gens qui y travaillaient. C’était un artisan, homme de convictions, simple et discret.
Laure-Emmanuelle Pradelle